La vérification du passif d’une entreprise en procédure collective obéit à un régime juridique et procédural très encadré, à savoir que :
- Le débiteur peut contester les créances déclarées au passif par l’intermédiaire du mandataire judiciaire ou du liquidateur judiciaire ;
- Dans ce cas, un courrier de contestation est notifié au créancier (par le mandataire judiciaire ou le cas échéant le liquidateur judiciaire) pour lui faire part du désaccord du débiteur en lui précisant notamment le ou le(s) motif(s) de la contestation et le montant proposé à l’admission ;
- Le créancier a 30 jours pour répondre (art. L. 622-27 et R. 624-1 C. Com.). A défaut, il ne peut plus contester la proposition du mandataire judiciaire relative à sa créance ;
- En cas de réponse et si le débiteur maintient sa contestation, les parties sont convoquées devant le Juge-Commissaire (art. R. 624-4 C. Com.) ;
- Le recours formé à l’encontre de la décision du Juge-Commissaire statuant sur la créance contestée est porté devant la Cour d’Appel (art. R. 624-7 C. Com.).
Dans la mesure où le courrier de contestation « précise l’objet de la discussion » (art. R. 624-1 C. Com.), laquelle peut être limitée ou partielle au stade de la vérification du passif, se pose la question de savoir si « l’objet de la discussion » peut évoluer dans le temps de l’instance destinée à statuer sur la créance déclarée et contestée.
Dit autrement, est-ce qu’en présence d’une contestation initialement fondée sur un motif précis et circonstancié, il est possible, en cours d’instance, d’ajouter et/ou de modifier les motifs de contestation ? Est-ce qu’en cas de contestation partielle de créance, il est possible de passer, en cours d’instance, à une contestation totale ?
1°/ En l’espèce, une société a été placée en procédure de redressement judiciaire.
L’URSSAF a déclaré une créance entre les mains du mandataire judiciaire.
Dans le cadre de la procédure de vérification du passif, le mandataire judiciaire a fait état de la contestation émise par le débiteur qui ne portait que sur une partie de la créance déclarée par l’URSSAF.
Le Juge-Commissaire a admis la créance de l’URSSAF telle qu’elle l’avait déclarée.
Le débiteur a interjeté appel de l’ordonnance entreprise.
Au stade de l’instance d’appel, le débiteur a modifié et étendu « l’objet de la discussion » en contestant la créance déclarée par l’URSSAF au titre de périodes qui, initialement, n’avaient pas été contestées au stade de la vérification du passif.
La Cour d’Appel a confirmé l’ordonnance du Juge-Commissaire (CA de Metz, 20 mai 2021, n° 20/00885) en retenant que la contestation de créance émise initialement au stade de la vérification du passif n’était pas totale, qu’en conséquence le débiteur ne pouvait plus contester la partie des créances qui ne l’avait pas été initialement.
Le débiteur a formé un pourvoi en cassation.
2°/ La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel en ce qu’il résulte de la combinaison des articles L. 624-1, L. 624-3 et R. 624-1 du Code de commerce que le débiteur en redressement judiciaire peut exercer un recours contre la décision du Juge-Commissaire statuant sur la créance qu’il a contestée, peu important l’objet de cette contestation. Dès lors que le débiteur a contesté la créance, quel que soit le motif de cette contestation, il est donc recevable à invoquer devant la cour d’appel un autre motif de contestation.
3°/ Cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de Cassation qui avait déjà eu l’occasion de considérer « qu’aucune disposition n’interdit au débiteur de mettre en œuvre, à l’appui de sa contestation, un moyen qu’il n’aurait pas invoqué dans les observations formulées par lui lors de la vérification des créances effectuée par le mandataire judiciaire » (Cass. Com., 19 janvier 1993, n° 91-11.462).
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On retiendra donc de cette décision que les parties à l’instance tendant à statuer sur l’admission ou le rejet d’une créance déclarée et contestée ne sont pas liées par le ou le(s) motifs invoqué(s) au stade de la vérification du passif, mais peuvent faire évoluer les motifs et / ou l’étendue de la contestation de la créance tout au long de l’instance.
L’absence de contestation au stade de la vérification du passif ne vaut donc ni acquiescement aux parties de créances non contestées, ni renonciation à invoquer ultérieurement d’autres éventuels motifs de contestation.
Julia VINCENT